Les festivals culturels en Mauritanie… Visent-ils un objectif de développement ou ne sont-ils que de simples initiatives politiques d’un autre genre ? / Aly Ould Eleyouta

Les festivals culturels constituent l’une des manifestations les plus marquantes qu’a connues la Mauritanie au cours des derniers mois. Ils ont été organisés dans presque toutes les régions du pays, alors qu’ils étaient auparavant presque exclusivement réservés aux villes historiques comme Chinguitti, Ouadane, Tichitt et Oualata, sous le slogan de la valorisation du patrimoine national et du renforcement de l’identité culturelle. Toutefois, ces événements à caractère festif suscitent un débat croissant sur leurs véritables objectifs : représentent-ils réellement un levier de développement local et de préservation du patrimoine, ou s’apparentent-ils davantage à des initiatives politiques conjoncturelles servant des agendas immédiats ?

Il ne fait aucun doute que la dimension culturelle et patrimoniale des festivals est d’une grande importance, notamment ceux organisés dans les villes historiques qui furent, jadis, des centres de rayonnement scientifique et commercial. Cela leur confère une valeur symbolique particulière, les rendant dignes d’accueillir de tels événements destinés à mettre en lumière leur richesse patrimoniale et à renforcer leur rôle central dans le développement, à travers plusieurs axes :

  • La préservation du patrimoine matériel et immatériel : par des spectacles artistiques, des expositions traditionnelles et la mise en valeur de manuscrits rares.
  • La promotion de l’identité nationale : en célébrant la diversité culturelle qui constitue une richesse pour la Mauritanie.
  • Le renforcement des liens sociaux : les festivals offrent un espace de rencontre entre citoyens de différentes régions, favorisant ainsi la cohésion sociale.

Cependant, le phénomène des festivals ne se limite plus ni à un temps ni à un lieu précis. Il s’est étendu à l’ensemble du territoire, sans respecter de critères clairs ni répondre à des programmes de développement définis, encore moins à des objectifs mesurables. Quant aux finalités de développement annoncées, ces manifestations sont généralement présentées comme des leviers de dynamisation des économies locales, en particulier dans les villes de l’intérieur souvent marginalisées. Les principaux objectifs escomptés seraient :

  • Relancer le tourisme interne et externe en attirant des visiteurs vers les régions hôtes.
  • Stimuler l’économie locale : les hôtels, artisans et petits commerçants profitent d’une activité commerciale temporaire.
  • Créer des emplois saisonniers : en mobilisant les jeunes pour l’organisation et les services liés aux festivals.

Or, ces impacts restent souvent limités dans le temps, voire inexistants, et ne laissent pas d’empreinte durable ni sur l’amélioration des infrastructures, ni sur l’élévation du niveau de vie des populations. Ces festivals, où qu’ils aient eu lieu, n’ont pas produit d’effets positifs à la hauteur des sommes investies. Pire, ils ont parfois ravivé des tensions locales. Beaucoup d’observateurs estiment que les festivals culturels revêtent une dimension politique aussi importante que leur dimension patrimoniale. Ils sont souvent :

  • Des plateformes de visibilité pour l’État : les autorités supérieures tiennent à parrainer ces événements et à y prononcer des discours politiques.
  • Un outil de légitimation : les festivals sont exploités pour renforcer le lien entre le pouvoir en place et les citoyens, surtout dans les zones reculées. Même si cet objectif peut être nécessaire, il n’en demeure pas moins fortement teinté de politique, alors que des moyens alternatifs existent.
  • Des occasions électorales indirectes : ces festivals deviennent des arènes de rivalité entre acteurs politiques, chacun cherchant à s’approprier toute initiative pour l’afficher comme son propre accomplissement, les transformant ainsi en outils de mobilisation populaire.

La question de la durabilité et de la faible portée de développement de ces festivals restera posée tant qu’il n’existera pas de vision nationale claire pour les encadrer et définir des objectifs de développement globaux qui devraient guider leurs organisateurs. À défaut, une interrogation persiste : qu’ont réellement apporté ces festivals en matière de développement local ?

  • Les infrastructures dans les lieux d’organisation restent limitées, voire inexistantes.
  • L’exode vers la capitale se poursuit à cause de la faiblesse des services de base.
  • Les projets économiques durables sont quasiment absents.

Cette réalité renforce l’impression que les festivals ne sont que des événements saisonniers qui s’éteignent avec la fin des festivités, sans suivi ni stratégie claire.

Pour rendre les festivals culturels plus efficaces et mieux ancrés dans le développement réel, il faudrait :

  • Les lier à des projets durables, adaptés aux spécificités et priorités de chaque région (création de musées, centres de recherche, infrastructures touristiques).
  • Associer les communautés locales à la planification et à l’exécution, afin de garantir leurs bénéfices directs.
  • Valoriser le patrimoine et les produits locaux à l’échelle nationale et internationale, en les intégrant dans les réseaux du tourisme culturel.
  • Séparer le politique du culturel, grâce à l’indépendance des comités d’organisation et à la transparence du financement.

En définitive, les festivals culturels en Mauritanie portent en eux un mélange d’objectifs : ils représentent, d’une part, une célébration du patrimoine et de l’identité nationale, bien que de manière encore limitée, et d’autre part, ils sont instrumentalisés politiquement dans divers contextes. Le véritable défi réside dans leur transformation en véritables leviers de développement durable, capables d’apporter des bénéfices économiques et sociaux pérennes aux régions hôtes, loin des calculs politiques conjoncturels et des intérêts personnels restreints.