Tunisie : le président Kaïs Saïed veut intensifier les retours "volontaires" de migrants

Info Migrants - Le président tunisien Kaïs Saïed a appelé l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) à intensifier ses efforts pour assurer les "retours volontaires" des personnes subsahariennes en situation irrégulière vers leurs pays d’origine.

"Seulement 1 544 migrants", en Tunisie, ont été rapatriés dans leurs pays depuis le début de l’année, a indiqué le président tunisien, dans un communiqué publié dans la nuit de mardi 25 à mercredi 26 mars.

Ce nombre "aurait pu être bien plus élevé si davantage d’efforts avaient été menés pour mettre un terme à ce phénomène inacceptable tant sur le plan humanitaire que juridique", peut-on lire dans la déclaration présidentielle.

Kaïs Saïed a appelé "toutes les autres organisations" concernées par ce problème à soutenir également "davantage les efforts tunisiens visant à faciliter le retour volontaire des migrants irréguliers".

Selon une source humanitaire contactée par InfoMigrants, "il faudrait déjà que les militants des ONG emprisonnés [des militants tunisiens d'aide aux migrants notamment, détenus pour la plupart depuis plus de dix mois, ndlr] soient libérés avant de nous demander de l'aide".

Sur l'ensemble de l'année 2024, 7 250 migrants subsahariens vivant en Tunisie sont rentrés "volontairement" dans leur pays via l'Organisation internationale des migrations (OIM), a indiqué fin janvier le secrétaire d’État tunisien auprès du ministre des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, Mohamed Ben Ayed.

On estime que le nombre de migrants irréguliers en Tunisie se situe entre 20 000 et 25 000, selon les chiffres des ONG. Ils survivent dans des camps de fortune insalubres au milieu de champs d’oliviers autour de Sfax (centre-est), dans l’attente de tenter d’embarquer clandestinement sur un canot pour l’Europe.

"Retour forcé"

Dans une interview à France 24, Romdhane Ben Amor, le porte-parole du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), une association qui vient en aide aux migrants dans le pays, affirme que "le terme de ‘retour volontaire’ [utilisé par la présidence] est largement critiqué parmi les migrants, car il s’est transformé en un retour forcé".

En effet, selon les témoignages recueillis depuis des années par InfoMigrants, le quotidien des Africains subsahariens est devenu "infernal" dans le pays – notamment depuis février 2023 quand le président Kaïs Saïed a dénoncé, dans un discours virulent, l’arrivée "de hordes de migrants subsahariens" menaçant, selon lui, de "changer la composition démographique" du pays.

Les mois suivants, des milliers de migrants avaient été chassés de leurs logements et leurs emplois informels. Plusieurs ambassades africaines avaient procédé au rapatriement express de leurs ressortissants, à la suite d’agressions. Des rafles de migrants noirs ont été organisées par les autorités pour ensuite les abandonner dans le désert, à la frontière libyenne ou algérienne. Les exilés sont constamment harcelés par la population et les autorités. Partout en Tunisie, les Noirs sont de plus en plus empêchés de travailler, de louer des appartements et même d’utiliser les transports publics.

La photo d'une mère de famille et de sa fille de six ans gisant sur le sable avait fait le tour des réseaux sociaux à l'été 2023, car elle symbolisait la détresse de ces exilés livrés à eux-mêmes sous une chaleur écrasante.

Nombreux témoignages d'exactions

Ces expulsions illégales, largement dénoncées par les ONG et les instances internationales, n'ont jamais cessé en Tunisie. InfoMigrants a reçu le témoignage d’un Guinéen interpellé en novembre 2024 par des policiers en Tunisie. Après des heures de route en plein désert, il a été remis – avec d’autres migrants - aux forces libyennes au beau milieu de la nuit, puis envoyés dans une prison de la banlieue de Tripoli. En septembre, la rédaction avait également reçu le témoignage d’un Sierra Léonais envoyé dans le désert, à la frontière algérienne, avec très peu d'eau et de nourriture.

En janvier 2025, un rapport de chercheurs, restant anonymes, a même été présenté au Parlement européen. Il révèle, à travers des témoignages, le business opéré à la frontière tuniso-libyenne : les autorités des deux pays s'échangent des groupes de migrants - hommes, femmes et enfants - contre de l'argent.

La Tunisie est un point de passage clé pour des milliers de migrants et réfugiés de pays d’Afrique subsaharienne désireux de rejoindre les côtes italiennes, situées à moins de 150 km de Sfax. Des centaines de Tunisiens tentent également la traversée périlleuse de la Méditerranée chaque année. Plus de 66 000 migrants sont arrivés en Italie par la mer en 2024, notamment depuis les côtes tunisiennes.

Le pays a conclu en juillet 2023 un "partenariat" avec l’Union européenne, prévoyant 255 millions d’euros d’aides financières dont la moitié pour lutter contre l’immigration irrégulière.

La rédaction