L’aide à l’Afrique fait les frais du soutien à l’Ukraine

Le Monde Afrique - Leur crainte était fondée : en voyant les milliards de dollars accordés à l’Ukraine pour lui permettre de faire face à l’invasion russe, les chefs d’Etat africains s’étaient au fil des mois inquiétés d’une solidarité qui se jouerait à leur détriment.

Les chiffres préliminaires de l’aide publique au développement (APD) publiés mercredi 12 avril par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) leur donnent raison.

En 2022, l’aide publique accordée par les pays riches a enregistré une hausse de 13,6 % – « parmi les plus importantes de l’histoire » – pour atteindre 204 milliards de dollars (187 milliards d’euros), mais le continent n’en a pas profité.
Au contraire, l’enveloppe qui a été allouée aux pays d’Afrique subsaharienne a été réduite de 7,8 % à 29,7 milliards de dollars, un niveau comparable à celui de 2017.

A côté des fonds débloqués pour l’Ukraine (16,1 milliards de dollars, soit 7,8 % de l’APD totale), l’accueil des réfugiés dans les pays donateurs est l’autre raison à l’origine des chiffres records de 2022. Ces dépenses – comptabilisées dans l’aide publique au développement – ont représenté plus de 29 milliards de dollars en 2022, soit quasiment autant que les sommes dédiées aux programmes de développement ou aux opérations humanitaires sur le continent même.

Plusieurs pays comme le Danemark ou la Suède ont dès le début de la guerre assumé le report d’une partie de leur aide extérieure sur l’Ukraine et l’accueil des réfugiés. Au Sahel, la dégradation des relations entre les donateurs et les régimes putschistes a rendu ces décisions d’autant plus aisées. Le gouvernement danois a annoncé diviser par deux ses appuis au Burkina Faso dès le mois de mars.

Traitement préférentiel de la crise ukrainienne

« L’objectif de l’aide est de soutenir les populations les plus vulnérables dans les pays en développement. Or des montants de plus en plus conséquents ne passent même plus les frontières des pays donateurs. C’est regrettable même s’il est aussi important de faire davantage d’efforts pour l’accueil des réfugiés », souligne Louis-Nicolas Jandeaux d’Oxfam-France.

La France apparaît comme l’un des rares pays à avoir augmenté ses soutiens à l’Afrique sans que les données fournies par les experts de l’OCDE ne permettent d’en mesurer précisément l’ampleur ni la ventilation géographique ou sectorielle. Mais, au mois de novembre, elle a suspendu ses financements en faveur du Mali – à l’exception de l’assistance humanitaire – en raison des liens entre la junte dirigée par Assimi Goïta et les mercenaires russes du groupe Wagner.

L’OCDE appelle à lire l’ensemble de ces chiffres préliminaires avec prudence car ils ne prennent pas en compte l’aide transitant par les organisations multilatérales comme la Banque mondiale et le bilan final, qui ne sera pas disponible avant plusieurs mois, pourrait se révéler sensiblement différent.

Il n’empêche, le message envoyé mercredi sera perçu comme la confirmation d’un traitement préférentiel de la crise ukrainienne par rapport aux besoins de tout un continent voire comme une sanction pour ceux qui ont voulu défendre leur droit à la neutralité dans le conflit avec la Russie en ne votant pas les résolutions onusiennes condamnant Moscou. S’il est prématuré d’en tirer de telles conclusions, ce recul de l’aide jette cependant une lumière crue sur les discours pleins de promesses de solidarité formulés par les pays riches pour répondre au choc de la pandémie du Covid-19.

« Désengagement des pays donateurs »

Depuis sont venus s’ajouter sur des économies plombées par les confinements et la désorganisation du commerce international, les effets inflationnistes de la guerre en Ukraine sur les prix de l’énergie ou de l’alimentation. Les crises alimentaires – localement aggravées par des conflits et des évènements climatiques extrêmes – atteignent une ampleur sans précédent.

Au Sahel ou dans la Corne de l’Afrique, des millions de personnes ont été déplacées et dépendent de l’aide humanitaire pour garantir leur subsistance. La situation de surendettement dans laquelle se trouvent une vingtaine de pays et la hausse des taux d’intérêt sur les marchés internationaux réduisent la capacité d’accès au crédit des Etats. Dans ses perspectives économiques mondiales publiées mardi, le Fonds monétaire international (FMI) prévoit une croissance de 3,6 % de l’Afrique subsaharienne cette année contre 3,9 % en 2021.

« Ce désengagement des pays donateurs va contraindre les pays les plus vulnérables [les plus dépendants de l’aide ] à davantage mobiliser leurs ressources domestiques, ce qu’ils font jusqu’à présent très peu. S’ils y parviennent, notamment, en améliorant leur gouvernance, le recul de l’aide aura finalement un effet positif. Mais on peut aussi imaginer un scenario négatif où la réduction des ressources conduit à une absence encore plus grande de l’Etat, à davantage de pauvreté et d’insécurité », explique Ibrahim Mayaki, secrétaire exécutif de l’agence de planification du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (Nepad).

Pour cet ancien premier ministre du Niger, le retournement de l’APD en 2022 traduit « l’inégalité de l’ordre international et le retour en force d’une utilisation géopolitique des instruments financiers de la solidarité ».

Laurence Caramel