L’inflation ! Une fatalité ? (3) Par maître Taleb Khyar ould Mohamed Mouloud *. Avocat à la Cour

Taleb Khyar Mohamed - Une opinion dominante d’observateurs avertis s’accorde pour dire que la Banque Centrale de Mauritanie a définitivement opté pour une stratégie de maîtrise et de contrôle de la masse monétaire dans son combat contre l’inflation , stratégie suffisamment mise en perspective à travers le relèvement par cette institution de son taux directeur; Il faut donc s’en féliciter.

C’est une décision courageuse et rationnelle ; courageuse parce qu’elle rompt avec la posture d’observateur passif affiché par la banque des banques, qui jusque-là s’est limitée à regarder défiler les chocs macro-économiques, avec une tiédeur qui frise l’indifférence.

C’est également une décision rationnelle, car c’est seulement par la mise en place d’une politique de resserrement monétaire que l’on peut stabiliser les prix, garantir une croissance durable, améliorer le niveau d’emploi.

De cette manière, la Banque Centrale renoue avec sa mission première, qui est de préserver la stabilité de l’offre de monnaie ; on ne peut donc que lui souhaiter réussite et succès, en espérant vivement qu’elle vienne à bout de cet ennemi public qu’est l’inflation, que Keynes redoutait comme la peste, et qu’il définit dans son ouvrage intitulé « Les conséquences économiques de la paix », comme un « système qui appauvrit beaucoup de gens ».

Il faut également souhaiter au plus profond de nous-même, que le management de cette prestigieuse institution soit mis dans des conditions qui lui permette de réaliser à terme cet objectif combien vital et prioritaire qu’est la stabilité de l’offre de monnaie, en l’absence , hors la présence, et sans immixtion aucune de quelque nature qu’elle soit, et à quelque niveau que ce soit, de tous ceux qui, exerçant le pouvoir ou gravitant autour, considèrent naïvement ou à dessein, que les chocs macro-économiques n’aient d’autre solutions que budgétaires.

L’approche budgétaire, nous l’avions dénoncé et critiqué vivement dans un article publié par « Cridem », en 2018, sous le titre « La Mauritanie à l’heure de la désintermédiation bancaire de l’emprunt (5) », repris dans ses colonnes par « Chez Vlan » dans son édition du mercredi 24 octobre 2018.

Tout au long de cet article, nous avions stigmatisé les effets néfastes de l’approche budgétaire , parfois de manière virulente, en faisant observer notamment que les chocs macro-économiques peuvent certes être atténués par des politiques budgétaires expansionnistes, mais « …….. seulement sous forme de solutions conjoncturelles dont la répétition débouche inéluctablement sur un mode de gestion dirigiste conduisant à une éviction du capital privé, sans pour autant qu’il n’y ait une collectivisation des moyens de production, encore moins une redistribution équitable des richesses nationales, mais bien au contraire, l’émergence d’une élite politico-bureaucratique budgétivore qui encourage la prééminence d’une économie de rente ; une élite plus préservatrice de ses intérêts, avec tout ce que cela implique comme corruptions, détournements de deniers publics, abus d’autorité, conflits d’intérêts, délits d’initiés, et au bout, la patrimonialité du pouvoir ».

Dans la même veine, l’article s’appesantit sur l’effet d’éviction de l’investissement public sur celui à caractère privé qui finira par disparaître au profit « d’autres agents économiques dont les stratégies privilégient le dirigisme d’Etat………Chaque fois que l’investissement public prendra de l’envol, il s’ensuivra mécaniquement un recul de l’investissement privé…. ».

Si Keynes avait préconisé le financement de l’économie par l’accroissement des dépenses publiques, pour surmonter la crise de 1929, il avait également bien pris soin d’expliquer qu’il ne pouvait s’agir que d’une solution passagère, ponctuelle, qui ne saurait se répéter sans conduire à une détérioration du tissu économique.

Or, cela fait quatre décennies que la Mauritanie est abonnée à l’approche budgétaire, sans égard pour l’accroissement continu de l’endettement qu’elle induit, et dont la soutenabilité est profondément remise en cause de nos jours.

L’approche budgétaire dont il ne faut jamais perdre de vue le caractère conjoncturel ne peut valablement prospérer comme solution structurelle aux chocs macro-économiques ! Par ailleurs, elle ne peut être utilement appliquée que lorsque les dépenses publiques qui viennent creuser le déficit, contribuent dans le même temps à l’accroissement des revenus, suivi d’une augmentation de la consommation, or cela n’est pas vérifié dans les pays du tiers monde où on accroît les déficits publics pour préparer la confiscation et l’appropriation du pouvoir d’achat des populations, les envoyer au chômage, les priver de soins médicaux et de systèmes éducatifs dignes de ce nom, pour créer de l’enrichissement illicite.

De la même manière que la crise de 1929 a montré les limites de la théorie économique classique, favorisant du même coup l’épanouissement de l’approche keynésienne, de cette même manière, l’inflation à laquelle nous faisons face aujourd’hui ne saurait se résoudre par le recours aux saupoudrages budgétaires.

Il faut donc rompre avec cette habitude héritée des politiques d’ajustement des années quatre-vingt-dix qui continuent de produire leurs effets néfastes sur les économies du tiers-monde.

Ces politiques d’ajustement qui ne font que dupliquer de manière aveugle et répétée la théorie keynésienne, dans un environnement différent de celui de son auteur, nous ont appris une seule chose ; accroître les dépenses publiques pour les capter, les détourner ; le délabrement de nos économies est là pour le prouver, le niveau dégradé de notre éducation est là pour le prouver, le chômage endémique est là pour le prouver, et la paupérisation qui affecte la classe moyenne en est une parfaite illustration.

Ces politiques auraient été salvatrices en présence d’une bonne gouvernance, grâce à l’effet multiplicateur des dépenses publiques sur le revenu, puis sur la consommation ; il n’en sera rien, le seul effet de l’accroissement des dépenses publiques ayant été de multiplier par autant la fréquence et l’ampleur des chocs macro-économiques dues aux besoins importants de financements de l’Etat, sans cesse répétés.

Cette situation ne saurait perdurer ; elle n’est pas tenable, et pour que la Banque Centrale puisse mener à bien sa lutte contre l’inflation, il faudrait que cette institution soit moins sollicitée, ou ne le soit plus du tout, pour accroître son passif, ou réduire ses actifs dans le seul et unique objectif d’entretenir les caprices dépensiers de l’Etat.

Il nous faut donc chasser la mauvaise monnaie qui gangrène l’économie, en lui substituant de la bonne monnaie ; celle que l’on gagne en créant de la richesse.(à suivre)

*Ancien membre du Conseil de l’Ordre.